Pour une entreprise, passer de “Faire de l’Agile” à “Etre Agile” représente un véritable défi. Ce changement de culture est long et difficile, mais de plus en plus d’entreprises ont déjà franchi le pas en rentrant sur le long chemin de la transformation. Cette évolution est bien présentée dans le reportage d’ARTE “Le bonheur au travail (Arte)”. Ce documentaire présente de nombreux témoignages d’entreprises libérées telles que FAVI, Poult, Harley Davidson ou même des administrations.
Cette série d’articles se propose d’aborder les points clés qui permettront à un manageur d’évoluer efficacement au sein d’une organisation Agile.
Les différents articles de cette série aborderont les sujets suivants :
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- Article 1
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- Maîtriser son ego pour devenir un leader
- Libérer la confiance et la délégation
- Travailler la cohésion du groupe
- Article 2
- Comprendre les enjeux de la motivation
- Savoir gérer les compétences de l’équipe
- Décloisonner l’information
- Passer d’un engagement individuel à un engagement d’équipe
Après un premier article sur le manageur agile dans lequel nous avons abordé des sujets tels que l’ego du manageur, la délégation et la gestion du groupe. Nous continuons maintenant en abordant de nouveaux sujets auxquels le manageur agile doit porter attention.
La motivation
L’autre intérêt de bien connaître ses équipes est la gestion de la motivation. La motivation en plus de permettre aux collaborateurs de travailler avec plaisir, est aussi un facteur important de performance. C’est pour cela qu’elle doit être au centre des préoccupations du manageur. Pour être en mesure de correctement prendre en considération ce facteur, le manageur doit bien faire la différence entre la motivation intrinsèque, et la motivation extrinsèque.
- La motivation extrinsèque est externe à l’individu. Elle est liée aux notions de récompenses et de punition. C’est celle qui est encore majoritairement utilisée en entreprise. Elle se traduit par une relation au sein de laquelle la personne donne son travail en échange d’un juste retour: salaire, primes, reconnaissance sociale. Elle s’exprime encore dans des politiques de peur, de pression managériale ou encore de menace sur l’emploi qui motivent l’employé à atteindre les objectifs qui lui ont été définis. La plupart des études montrent aujourd’hui les limites de ce type de motivation, dès lors que la tâche demandée demande le moindre travail de réflexion. C’est ce qu’explique très bien Daniel Pink dans sa conférence TED de juillet 2009.
- La motivation intrinsèque est interne à l’individu. Elle survient lorsqu’une personne trouve son propre plaisir dans les tâches qu’il effectue. L’individu n’a pas besoin d’action externe pour agir car il trouve son propre sens, peut être autonome et s’améliorer dans ce qu’il fait. Par exemple, cela pourrait être le cas d’une personne passionnée de nouvelles technologies à qui l’on propose de participer à un projet d’application mobile innovant.
La motivation intrinsèque est considérée comme étant la source de motivation la plus forte et la plus stable dans le temps. Le manageur devra par conséquent s’attacher à créer le cadre nécessaire à son expression au sein de son équipe. Pour cela, Jurgen Apello, dans Management 3.0, propose un outil intéressant, le “moving motivator”. Cet outil cherche à réaliser une cartographie de 10 désirs intrinsèques issus des études de Daniel Pink, Steven Reiss, et Edward Deci. Dans l’atelier de “moving motivator”, ces 10 désirs sont représentés sur des cartes qu’il s’agit de positionner par rapport à une situation donnée. Le manageur demande donc tout d’abord au collaborateur de les classer par ordre croissant d’importance. Une fois ce travail réalisé, le manageur dispose d’une cartographie intéressante des facteurs de motivation intrinsèques de son collaborateur. Il peut alors entamer une discussion en lui demandant d’identifier les éléments mis en action dans son travail actuel, mais aussi d’abaisser les éléments qui ne sont pas mis à contribution. L’exercice peut alors être recommencé en proposant des modifications du périmètre d’intervention du collaborateur. De cette façon on peut visualiser les impacts d’un changement d’activité sur sa motivation et essayer de créer le meilleur contexte pour la développer.
La compétence
La bonne compétence des membres de l’équipe est un facteur indéniable de réussite. Pour le manageur, l’étude de ces compétences est un point de départ indispensable pour faire évoluer et progresser l’équipe. Dans cet objectif, le manageur Agile doit connaître les capacités de chacun et définir une véritable stratégie de montée en compétence.
Dans de très nombreuses entreprises, la gestion de la compétence est basée sur l’expertise. On regroupe ainsi dans des services spécialisés des personnes qui doivent connaître de plus en plus de choses sur un domaine de plus en plus restreint. Dans le domaine de l’IT, il n’est donc pas rare de rencontrer des services purement techniques tels que l’éditique, les bases de données, la GED… Cette façon de faire permet certes d’avoir des personnes très efficaces sur des sujets précis, mais cette efficacité à un prix. Avec des personnes qui ne peuvent intervenir que sur un seul sujet, il est très difficile de créer des équipes. En effet, ces personnes doivent partager leur temps entre de multiples projets, avec en conséquence de cette organisation, de grosses difficultés de planification et de priorisation de leurs interventions. De plus, un problème sur un seul projet, peut mettre en retard de nombreux autres sur lesquels l’expert devait intervenir.
De ce fait, de plus en plus de sociétés, parmi lesquelles Spotify, ont pris une direction complètement opposée, en proposant une organisation en équipes autonomes (les feature teams). Ces équipes misent sur la polyvalence plutôt que sur la spécialisation. Ce faisant, elles sont peut-être moins efficaces sur un sujet donné, mais ont la capacité d’avancer avec un maximum d’autonomie. Cette organisation simplifie grandement la planification et la priorisation des projets. Par cette approche, les frictions entre les différentes entités de l’organisation se trouvent limitées au maximum. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, ces concepts ne sont pas si récents que cela. En 1989 dans « Méthode de Connaissance Approfondie« , W.E. Deming expliquait déjà que l’optimisation d’un système doit toujours être étudiée de façon globale. Quand bien même cela se ferait parfois au détriment de l’optimisation locale. Ce qu’il formulait ainsi: “L’objectif d’une organisation est l’optimisation globale du système, pas l’optimisation individuelle des sous-systèmes […] L’optimisation des sous-systèmes va à l’encontre de cet objectif et peut mener à un système global non optimisé”. C’est encore ce que nous proposions dans un précédent article sur le blog: « l’efficience de l’équipe n’est pas celle de l’individu« . Nous y revenions plus en détail sur certains des éléments qui nous amènent à privilégier cette approche systémique.
Pour rechercher ce système global optimisé et atteindre son objectif de créer une équipe unie et performante, le manageur Agile doit donc autant que possible favoriser la polyvalence. Ceci ne signifie pas qu’il ne peut pas avoir de spécialistes dans son équipe, mais plutôt que ces spécialistes doivent être à temps plein dans l’équipe, et qu’ils doivent être en mesure d’avoir plusieurs domaines d’intervention (profil en T). Pour arriver à cela, le manageur Agile doit organiser un plan de montée en compétence pour son équipe.
Pour développer cette polyvalence, la première étape consiste encore une fois à bien connaître les membres de son équipe, et plus particulièrement leurs compétences. Pour cela, le manageur Agile peut mettre en place une matrice de compétences. Cette matrice présente en ligne toutes les compétences nécessaires au bon déroulement des activités de l’équipe, et en colonne chaque membre de l’équipe. On remplit alors la matrice avec 2 types d’informations:
- Quel est le niveau de compétence de chaque membre de l’équipe sur chaque sujet ?
- 0 : pas de connaissance
- 1 : capable de traiter le sujet en étant accompagné
- 2 : capable de traiter le sujet en autonomie
- 3 : maîtrise du sujet, capable de former de nouvelles personnes
- Quels sont les sujets qui intéressent les personnes comme cible de progression ?
Cette matrice doit bien sûr être construite en collaboration avec l’équipe. Non seulement cela permet un échange et un partage entre les membres de l’équipe sur les capacités de chacun, mais aussi c’est une source d’information pour le manageur sur la perception qu’ont d’eux-mêmes les membres de l’équipe. Cette information est importante pour profiter du sentiment d’auto-efficacité, définie par Albert Bandura. Le sentiment d’auto-efficacité constitue la croyance que possède un individu en sa capacité de produire ou non une tâche. Plus grand est le sentiment d’auto-efficacité, plus élevés sont les objectifs que s’impose la personne et l’engagement dans leur poursuite. Cette information est donc un levier important de motivation et d’engagement des membres de l’équipe.
Une fois la matrice de compétences complétée, l’équipe a une vision claire de la couverture des différentes activités et de l’investissement que chacun est prêt à faire pour une montée en compétence. À partir de là, le manageur peut commencer à travailler sur un plan de développement qui permette de construire une équipe polyvalente. Pour cela il a à sa disposition tout un panel d’outils :
- La formation institutionnelle, qu’elle soit donnée par un organisme externe ou par les experts au sein de l’équipe, elle permet de passer un premier cap de compétence. Elle permet très souvent de passer du niveau 0 au niveau 1.
- La réalisation en paire. On réalise les choses à deux : un expérimenté et un junior. Cette façon de faire favorise l’échange et la transmission des savoirs sur des cas concrets. Elle permet très souvent de passer du niveau 1 au niveau 2.
- L’autoformation ou la veille. En fixant des objectifs et en laissant du temps à son équipe, le manageur favorise le maintien des compétences et la progression des membres de l’équipe à leur propre rythme.
- Le mentoring. En créant au sein de l’équipe des binômes constitués d’une personne expérimentée et d’une personne plus junior. Ces binômes sont amenés à durer dans le temps.
La communication
Dans de nombreuses organisations, l’information doit être maîtrisée, pour ne pas dire cloisonnée. Du moins, c’est ce que la culture d’entreprise laisse à penser. Les principales raisons évoquées pour cela sont :
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Les équipes opérationnelles n’ont pas le recul ou la connaissance du contexte suffisante pour comprendre.
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L’information n’est pas encore validée, on préfère alors ne rien dire plutôt que d’avoir à annoncer un changement d’avis et avouer ainsi une « erreur ».
Ce qu’il faut comprendre en filigrane, c’est que l’information est l’une de ces sources de pouvoir de la hiérarchie. Comme nous l’avons vue dans le chapitre sur l’ego du manageur, l’accès à de l’information restreinte est une des marques distinctives de statut de l’individu. Plus on monte dans la hiérarchie, plus on a accès à des informations auxquelles on n’avait pas accès avant et plus on peut être perçu comme quelqu’un d’important.
Comme cela a déjà été évoqué, le rôle du manageur Agile est de communiquer un maximum d’information à son équipe. Cette information doit permettre de donner du sens aux actions et ainsi de souder le groupe. Pour avoir une communication efficace, le manageur doit les présenter de façon didactique, et s’assurer que tout le monde a bien compris les enjeux et les conséquences pour l’équipe.
Mais la communication n’est pas un processus à sens unique. De par son rôle, le manageur a la possibilité de faire passer des messages aux autres entités de l’entreprise et ainsi de permettre une optimisation globale du système. Pour cela, il doit aussi écouter son équipe et les amener à ne pas se limiter à de l’optimisation locale dans leurs boucles d’amélioration. Il pourra ainsi travailler avec ses homologues pour proposer des améliorations du système dans sa globalité.
L’engagement
S’il y a une chose que l’Agilité a bouleversé dans les habitudes du manageur, c’est la prise d’engagements.
Dans une organisation classique du travail, c’est au manageur de prendre la responsabilité de l’engagement de résultat. Il s’engage souvent fermement sur des périodes de temps pouvant aller de quelques mois à plusieurs années. Il est sous une pression constante pour fournir des estimations qui sont en fait trop souvent des engagements qui se transforment en contrats fermes et définitifs. Cette pression est principalement due au refus des organisations à s’accepter comme des systèmes complexes (système non prédictif).
L’engagement ferme demandé à chaque entité de l’entreprise est en effet la traduction d’une vision de l’entreprise comme un système compliqué. Un système compliqué a en effet ceci de rassurant qu’il peut être analysé et compris. Causes et conséquences peuvent être connues et le système est prédictif. En forçant l’engagement on ne fait que chercher à simplifier artificiellement le problème. Mais tout ceci est illusoire et parfois même dangereux. En effet en considérant comme prédictif un système qui ne l’est pas, on en oublie d’être à l’écoute et réactif. De plus, le manageur sur qui l’on a fait peser le poids de l’engagement va avoir du mal à reporter une dérive qui traduirait une mauvaise estimation de sa part. C’est le syndrome de l’indicateur pastèque (vert en façade, mais rouge à l’intérieur) où le système tout entier part à la dérive sans que personne n’en soit réellement conscient. Lorsque finalement on constate que les évaluations sont fausses, il est bien souvent trop tard. On se retrouve alors au pied du mur sans aucune alternative.
Dans un contexte Agile, la notion d’engagement doit être relativisée. L’engagement ne doit plus être pris par le manageur, mais directement par l’équipe, et seulement sur de courtes périodes (2 à 3 semaines maximum). Cet engagement de proximité n’a plus pour objectif de simplifier le système de l’entreprise, mais plutôt de motiver les équipes en leur permettant de s’investir sur des objectifs à court terme qu’ils se sont eux-mêmes fixés.
Sur le long terme, le manageur doit travailler avec ses donneurs d’ordre sur la priorisation des choses à faire et sur des projections à partir des rythmes de production réels de son équipe (vélocité, débit …). Cette priorisation doit être faite en gardant à l’esprit la vision globale de l’entreprise et les grandes orientations stratégiques qui en découlent. Cette façon de faire apporte de la réactivité tout en gardant ouvert un maximum de possibilités en cas de problème.
En ce qui concerne l’engagement, le rôle du manageur Agile est cette fois plus tourné vers sa propre hiérarchie, plutôt que vers son équipe. Il doit se comporter en évangélisateur, en expliquant les dysfonctionnements de l’engagement à long terme, et en veillant à ce que les anciens réflexes ne reviennent pas.
Conclusion
Contrairement à ce que l’on peut entendre ou lire sur le sujet, le passage à l’Agilité à grande échelle ne signifie pas la disparition des manageurs. Le rôle du manageur Agile est riche et valorisant, mais très différent des approches basées sur l’organisation scientifique du travail (Taylorisme). Le manageur Agile ne doit plus être celui qui décide, qui surveille, et qui juge. Le manageur Agile doit être un leader dont l’objectif principal et de protéger et de faire grandir son équipe. Il est un acteur primordial de la performance de celle-ci.