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Agile : La fin de la hiérarchie n’est pas celle du manageur (1/3)

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À travers cette série de trois articles, nous vous proposons une réflexion sur ces nouvelles organisations plates, « libérées » ou dites de « bonheur au travail » qui font fi de la hiérarchie et réinventent le rôle du manageur. Nous y parlerons tout d’abord des raisons qui amènent certaines entreprises à vouloir faire disparaître la hiérarchie. Nous étudierons ensuite les nouveaux besoins qui émergent au sein de ces organisations sans « chef ». Et nous verrons finalement pourquoi il serait prématuré d’en conclure qu’il s’agit là de la fin du manageur.

  • La fin de la hiérarchie n’est pas celle du manageur (1/3) : La fin de la hiérarchie
  • La fin de la hiérarchie n’est pas celle du manageur (2/3) : Les nouveaux besoins des organisations plates
  • La fin de la hiérarchie n’est pas celle du manageur (3/3) : Le nouveau rôle du manageur

L’émergence des organisations plates

Au début du 20e. siècle, Frederick Winslow Taylor considère que l’ouvrier n’est pas là pour penser, mais pour exécuter des gestes savamment calculés pour lui. Dans son ouvrage « Principles of Scientific Management » publié en 1911, il va jusqu’à écrire:

« It is only through enforced standardization of methods, enforced adoption of the best implements and working conditions, and enforced cooperation that this faster work can be assured. And the duty of enforcing the adoption of standards and enforcing this cooperation rests with management alone. » (Frederick Winslow Taylor)

Cette vision extrêmement hiérarchique de l’organisation, qui dénie l’autonomie du travailleur, limite son champ d’action et lui refuse toute innovation sera le mode de management qui prévaudra tout au long du 20e. siècle. Bien qu’adaptée à son époque dans un univers compliqué mais prédictible, cette vision se trouve grandement remise en cause dans un monde de plus en plus complexe et imprédictible.

Ce n’est que récemment qu’en réponse à cette évolution sociétale sont apparues les organisations plates (ou organisations horizontales) dont la sociocratie ou l’Holacracy® sont des modèles. Ce sont ces structures et leurs variantes que l’on retrouve mises en oeuvre au sein de ces entreprises dites libérées (sur ce sujet les ouvrages d’Isaac Getz – Liberté et Cie. et Frédéric Laloux – Reinventing Organizations, sont considérés comme des références).

Point commun de ces organisations: la disparition de la hiérarchie ou tout du moins sa réduction à son minimum. Si cela peut sembler initialement étrange, la citation suivante de Steve Jobs peut commencer à nous donner un premier éclairage:

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L’ouvrier n’est pas là pour penser, mais pour exécuter des gestes savamment calculés pour lui

Pourquoi supprimer la hiérarchie?

La hiérarchie source de lenteurs et de coûts

Effectivement, cela peut sembler un peu vain de vouloir embaucher les meilleures personnes qu’il soit pour se contenter de leur dire quoi faire comme au temps de Taylor. Le monde du travail a muté. Nous avons quitté le monde du travail manuel et répétitif et sommes entrés de plain-pied dans un monde intellectuel, en innovation constante. Dans ce contexte, continuer à user des méthodes de management qui prévalaient dans d’anciens modèles organisationnels n’est peut-être pas le plus adapté.

Nous avons de plus en plus besoin de réactivité et la hiérarchie peut-être vue comme une source de lenteur et de coûts. Une source de lenteur, car la remontée de l’information à travers les différents niveaux de hiérarchie, son temps d’analyse et la redescente de la décision qui s’ensuivent prennent du temps. Ce processus entraine l’inaction du travailleur pendant toute la durée de traitement de l’information. Une lenteur qui peut aussi se trouver accrue de par la multiplication des chaînes de décisions. Plus elles sont nombreuses et plus cela complexifie la tâche du travailleur qui doit dispatcher l’information auprès du bon décideur (au risque de perdre encore plus de temps si le mauvais décisionnaire est consulté).

C’est exactement le problème que décrit Jean-François Zobrist, ancien dirigeant de FAVI (une des plus célèbres entreprises libérées françaises) lorsqu’il raconte l’histoire de la tondeuse dans le livre La belle histoire de Favi. Cette histoire est l’une des histoires fondatrices qui lui a fait prendre conscience de la nécessité de changer l’organisation de l’entreprise. Alors qu’il tondait sa pelouse, il s’aperçoit que le moteur de sa tondeuse avait des ratés. D’instinct il pense à changer la bougie, puis réfléchit à la façon dont le problème serait traité en entreprise. Il liste alors les actions à entreprendre pour ce simple changement et est alors effaré par leur nombre et par l’attente induite. Cela l’amène à revoir tout le concept de hiérarchie.

Sous une autre forme, c’est encore ce que rapporte Benoît Poelvoorde dans cette vidéo qui parle des différences entre le cinéma français et le cinéma belge. Il y explique comment un simple problème de présence d’objet indésirable dans le cadre peut être résolu simplement ou de manière compliquée suivant que l’on utilise la chaîne hiérarchique ou non.

En plus d’être source de lenteur, la hiérarchie est aussi une source de coût. Plus l’entreprise grandit et plus les échelons hiérarchiques se multiplient. La nécessité d’avoir recours à plus de manageurs représente une augmentation non linéaire des coûts (un manageur étant payé à un salaire plus important qu’un simple employé). C’est un des problèmes remontés par Gary Hamel dans son article qui a fait débat « First, let’s fire all the manageurs ». Si dans une petite organisation vous avez 1 manageur pour 10 employés, il vous en faut 11.111 dans une entreprise de 100.000 personnes (parce qu’il vous faut des manageurs de manageurs).

L’éloignement de la réalité du terrain et la perte de compétence

Comme le disait le général allemand Helmuth Von Moltcke, auteur de nombreux ouvrages de stratégie : « no battle plan ever survives contact with the enemy ». Von Moltcke est l’un des premiers à prendre conscience de l’importance de la décentralisation de la décision rendue nécessaire par l’augmentation de la taille des armées. S’il est important de planifier, il est plus important d’annoncer ses intentions que des ordres précis. Ainsi, la bataille commencée, il est possible de s’adapter aux changements de contexte avec la plus extrême diligence. Et en effet, plus on s’éloigne du terrain et plus il est difficile d’en avoir une bonne perception. Avec la hiérarchie, on prend ainsi le risque de faire prendre les décisions par des personnes qui n’ont qu’une vision imparfaite de la situation. Malgré la meilleure volonté du monde, elles ne peuvent pas prendre la pleine mesure des réalités du terrain. C’est d’autant plus dommageable que comme le note Joseph Bower dans From Resource Allocation to Strategy, la plupart des propositions d’innovations proviennent du plus profond de l’organisation et non de la direction.

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Décider au plus près de l’action

Cet éloignement de la réalité du terrain que vit la hiérarchie se retrouve encore accentué par le fossé des générations. Avec la vitesse du changement actuel, le leader n’a pas connu ce qui constitue aujourd’hui la réalité du terrain. Cela crée des incompréhensions fortes comme en témoigne Emmanuelle Duez lors du Positive Economy Forum du Havre 2015 avec son intervention sur la génération Z. Cette génération d’incompris, qui rêve d’entrepreneuriat est en effet en décalage complet avec le modèle prévalent d’organisation hiérarchique des entreprises.

À ce problème de manque d’écoute et de compréhension, peut aussi s’ajouter un phénomène décrit sous le nom de Principe de Peter qui peut amener à l’incompétence de la hiérarchie. Le Principe de Peter, décrit par Laurence J. Peter et Raymond Hull, explique que nous sommes promus jusqu’à notre degré d’incompétence. En effet, plus nous sommes compétents à notre poste, plus il est probable que nous soyons promus à des responsabilités supérieures. Mais le jour où nous nous retrouvons à un niveau pour lequel nous ne sommes plus compétents, nous ne serons alors plus promus tout en n’étant pas rétrogradés. C’est ce qui amène Laurence J. Peter et Raymond Hull aux conclusions suivantes:

  • « Dans une hiérarchie, tout employé a tendance à s’élever à son niveau d’incompétence »
  • « Avec le temps, tout poste sera occupé par un employé incapable d’en assumer la responsabilité. »

C’est d’autant plus regrettable que suivant les principes de la motivation 3.0 tels que décrits par Daniel H. Pink et résumés dans la vidéo de RSA Animate Drive: The Surprising Truth about what motivates us, le fait de pouvoir développer une maîtrise dans son travail est un des éléments essentiels de la motivation intrinsèque (au côté du sens et de l’autonomie).

La hiérarchie source de démotivation

La gestion de la motivation en entreprise fait d’ailleurs partie de ces éléments qui n’ont pas su évoluer avec leur temps. Les travaux sur la motivation intrinsèque rapportés par Daniel H. Pink remontent aux années 60 (« La vérité sur ce qui nous motive« ). Nous connaissons depuis longtemps les effets négatifs d’un système de motivation basé sur le couple bâton-carotte. Cela reste pourtant encore le système le plus présent en entreprise. Dès lors, rien d’étonnant dans les résultats des études Gallup sur l’engagement des salariés en entreprise. Avec seulement 13% d’employés engagés sur la période 2011-2012, on comprend l’intérêt actuel marqué pour les entreprises libérées et leur promesse de bonheur au travail.

Dans ce contexte global de démotivation, la hiérarchie joue un rôle important. Le rôle du manageur constitue d’ailleurs une des premières causes de départ en entreprise (et inversement de satisfaction lorsque ce rôle est bien rempli). C’est ce que l’on retrouve à travers l’Étude 2014 « diagnostic de la motivation des entreprises françaises » réalisée par le Cercle pour la Motivation. Il n’y a finalement rien d’étonnant à cela quand on voit le décalage de perception entre manageurs et managés (24% des managés sont insatisfaits des relations avec leur manageur contre seulement 4% des manageurs si l’on en croit un sondage BVA sur les relations manageurs-managés de 2012). Et l’on comprend encore mieux à quel point la hiérarchie peut-être source de démotivation quand on s’aperçoit, à travers ce même sondage BVA, que moins d’un tiers des managés souhaiteraient prendre la place de leur chef. Paradoxal, lorsqu’on a construit la hiérarchie à la fois comme un moyen de « scaler » les organisations et comme une récompense dans la carrière d’un individu. Et pour autant, le fait que nous refusons de de devenir chefs (Chef, je ne veux pas être chef!) et de plus en plus une réalité comme le rapporte Sylvaine Pascual (Quand les cadres ne veulent plus manageur).

En dehors du fait que nous ne trouvons plus notre épanouissement dans un rôle de chef, le chef avec son pouvoir de contrôle et de validation hiérarchique est un vrai facteur de démotivation pour le salarié. Si la motivation intrinsèque a besoin d’autonomie, de sens et de maîtrise pour se développer, le manageur peut avoir un rôle castrateur fort sur ces trois éléments. En étant source de décision, il retire l’autonomie au managé. En imposant et en ne donnant pas le pourquoi des choses, il prive de sens. En contrôlant (le bâton) et en définissant le plan de carrière et de formation (la carotte) pour le salarié, il empêche la création d’un cadre favorable à l’apprentissage par l’erreur et au développement de la maîtrise.

Il faut se rendre à l’évidence, la hiérarchie est encore trop souvent l’expression de la Théorie X définie par Douglas McGregor. C’est parce que l’on pense que l’homme est naturellement enclin à éviter le travail que l’on a développé cette approche « command and control » en entreprise. Si aujourd’hui les organisations plates se développent c’est bien qu’à l’inverse elles s’appuient sur la Théorie Y de Douglas McGregor et que Jean-François Zobrist résume par ce postulat de « l’homme est bon » (« La belle histoire de Favi : L’entreprise qui croît que l’homme est bon« ).

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La hiérarchie sert trop souvent de contrôle

La hiérarchie réduit la capacité d’innovation

Dans un monde complexe, où les entreprises ont de plus en plus besoin de réactivité, l’approche « command and control » de la hiérarchie est par ailleurs une véritable barrière à l’innovation.

En effet, une des principales sources de pouvoir de la hiérarchie et le contrôle de l’information. Celle-là même dont nous aurions besoin qu’elle circule plus librement. En contrôlant la diffusion de l’information, la hiérarchie empêche le développement de ce qu’on appelle l’économie du savoir (sur ce sujet l’audition de Idriss Aberkane qui parle de biomimétisme et d’économie du savoir est passionnante). Pourtant l’économie du savoir présente plusieurs caractéristiques extrêmement intéressantes dans un monde complexe. Tout d’abord, le savoir a ceci de magique qu’il peut se partager sans s’appauvrir (je peux vous transmettre une idée sans pour autant avoir à m’en départir). Quand on sait combien il est important d’avoir la bonne information pour réagir face à un contexte donné (s’il vous est arrivé de vous retrouver bloqué dans le métro vous saurez de quoi je parle), il serait donc dommage de s’en priver. Autre caractéristique du savoir, intéressante en entreprise, son partage fait toujours écho et est créateur de quelque chose de nouveau. L’information que je vous transmets et que vous recevez va rebondir sur ce que vous connaissez par ailleurs. Ainsi, ne serait-ce que par simple association d’idées, elle va susciter un savoir nouveau chez vous. Certes, ce savoir sera parfois trivial, mais ce sera aussi peut-être une source d’innovation importante. Comme l’a dit Bernard de Chartres:

Au-delà de l’aspect négatif du contrôle restrictif de l’information, la hiérarchie par son rôle de décision vient aussi limiter la prise d’initiative. Poussé à l’extrême, le fait que toute prise de décision doive être validée par la hiérarchie peut amener à une forme de déresponsabilisation dangereuse. C’est ce que montre d’ailleurs la célèbre expérience de Milgram, retranscrite dans le film de Henri Verneuil « I… comme Icare« . Sans vouloir atteindre le point de Godwin, la suspension de jugement dont nous pouvons faire preuve face à la hiérarchie a bien quelque chose d’inquiétant.

La hiérarchie en entreprise se traduit aussi par une culture de process. Nous définissons la manière dont l’information doit être transmise. Les processus de prise de décision sont codifiés. Les diverses étapes de validation sont prédéterminées. On va jusqu’à limiter les pouvoirs des personnes à travers les montants d’engagement que peut prendre le manageur en fonction de son grade. Si les process peuvent être parfois bénéfiques comme peut l’être une check-list d’aviation ou de bloc opératoire, ils peuvent aussi être limitants. Dans Petite Poucette, le philosophe et académicien Michel Serres raconte les débuts du Bon Marché. Tout y est bien rangé, mais les ventes stagnent. Un matin Boucicaut (le fondateur du Bon Marché) à l’idée de casser cet ordre. La ménagère venue acheter des poireaux passe devant le rayon des dentelles. Les ventes explosent. L’ordre ne laisse pas de place à la sérendipité. Ce qui fait dire à Michel Serres:

« Le disparate a des vertus que la raison ne connaît pas. Pratique et rapide, l’ordre peut emprisonner pourtant; il favorise le mouvement mais à terme le gèle. Indispensable à l’action, la check-list peut stériliser la découverte. Au contraire de l’air pénètre dans le désordre, comme dans un appareil qui a du jeu. Or le jeu provoque l’invention. »

Comme le rapporte Clayton M. Christensen dans The Innovator’s Dilemma, une culture de process, par opposition à une culture de personnes présente encore un inconvénient lorsqu’il s’agit de se transformer pour faire face à l’innovation. Elle a ce désavantage qu’alors qu’on peut former les personnes pour les faire évoluer on ne peut pas former les process. Tout changement de culture est une affaire difficile, mais il est rendu encore plus compliqué s’il doit composer avec des processus inadaptés.

Ainsi si l’on veut développer la prise d’initiative d’où naissent les innovations, le management doit être dissocié de l’autorité, être le moins directif possible et ne pas être coercitif. Sans cela on ne permet pas à l’individu de développer suffisamment de confiance pour oser tenter des choses nouvelles. Si l’erreur est réprimandée. Si elle est vue comme une forme d’échec et non comme une source d’apprentissage, on ne crée pas la culture nécessaire à l’innovation.

Source de lenteurs et de coûts, myope, démotivante ou même castratrice vis-à-vis de l’innovation, la hiérarchie se voit complètement bousculée. Pour autant, repenser nos structures hiérarchiques peut sembler une tâche dantesque. Au fond, cela nécessite un véritable changement de paradigme. Il s’agit d’arrêter de percevoir l’entreprise comme une machine à faire de l’argent et de commencer à la considérer comme un système vivant. Peter Senge dans La Cinquième discipline écrit ainsi:

« Nous savons que dans les systèmes vivants sains, comme le corps humain ou un milieu humide, le contrôle est distribué. Mais nous sommes tellement habitués à l’idée que « quelqu’un doit être au contrôle » – ce que Hock appelle le « newtonien caché » à l’intérieur de nous –, que nous n’arrivons pas à imaginer de réelles alternatives »

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Distribuer le contrôle au sein de l’organisation

Aujourd’hui ces alternatives sont émergentes. Leurs chantres s’appellent Semco, Favi, Poult, Chronoflex, Morning Star, Whole Foods, HCL Technologies, Harley Davidson, AES, Burrtzorg, The Richards Group, Patagonia, Gore, Menlo, Valve, ou encore Holacracy pour n’en citer que quelques-uns. L’idée suscite de la traction et elles sont de plus en plus nombreuses à étudier d’autres façons de diriger en s’appuyant sur un contrôle distribué. C’est une nouvelle façon de faire et elle n’est pas sans présenter ses propres challenges… C’est justement ce que nous nous proposons d’étudier dans notre deuxième partie: « La fin de la hiérarchie n’est pas celle du manageur (2/3) : Les nouveaux besoins des organisations plates ».


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