Quantcast
Channel: Publicis Sapient Engineering – Engineering Done Right
Viewing all articles
Browse latest Browse all 1865

Agile : La fin de la hiérarchie n’est pas celle du manageur (3/3)

$
0
0

À travers cette série de trois articles, nous vous proposons une réflexion sur ces nouvelles organisations plates, « libérées » ou dites de « bonheur au travail » qui font fit de la hiérarchie et réinventent le rôle du manageur. Dans les précédents articles, nous avons vu les raisons qui amènent certaines entreprises à vouloir faire disparaître la hiérarchie et les nouveaux besoins qui émergent au sein de ces organisations sans « chef ». Pour conclure, voici pourquoi il serait prématuré d’en déduire qu’il s’agit là de la fin du manageur.

Le nouveau rôle du manageur

Les sources de l’incompréhension

Comme nous l’avons vu précédemment, supprimer la hiérarchie n’est pas une mince affaire. Alors que le cadre est plus diffus et que les repères s’effacent, il faut un capitaine au navire. Un capitaine non pas pour diriger, mais pour inspirer à aller dans une même direction. Comme le disait Antoine de Saint-Exupéry:

 

« Si tu veux construire un bateau, ne rassemble pas tes hommes et femmes pour leur donner des ordres, pour expliquer chaque détail, pour leur dire où trouver chaque chose… Si tu veux construire un bateau, fais naître dans le cœur de tes hommes et femmes le désir de la mer. »

 

Ce rôle de capitaine qui inspire plutôt qu’il ne dirige peut évidemment être porté par le manageur. Si l’organisation n’a plus besoin de la structure hiérarchique traditionnellement symbolisée par le manageur, si elle n’a plus besoin de son rôle « command and control », elle ne peut pas se dispenser de son rôle de leader. Le manageur ne disparaît pas, c’est son rôle qui évolue.

Le-manager-est-un-capitaine-qui-inspire.png

Le manageur est un capitaine qui inspire

Si nous avons pu trop hâtivement conclure que la disparition de la hiérarchie signifiait celle du manageur, c’est notamment le fait de quelques communications provocantes et sans doute un brin démagogiques.

Celle de Gary Hamel, dont nous parlions dans notre premier article, en est sans doute l’exemple le plus frappant. Il faut avouer qu’avec un article intitulé First Let’s Fire All Managers (traduit ici en: Commençons par virer tous les manageurs), nous serons pardonnés du raccourci.

Pour autant, cet article publié dans la Harvard Business Review de décembre 2011 parle surtout des problèmes nés des structures hiérarchiques. Précisément les mêmes difficultés que nous avons exposées dans notre partie « La fin de la hiérarchie« . Il s’attarde aussi particulièrement sur le modèle organisationnel surprenant de Morning Star. Aujourd’hui, Morning Star est un leader mondial de la transformation de tomates. Ils traitent 25 à 30% des tomates aux États-Unis. Tout cela dans une absence totale de hiérarchie ou plus justement grâce à des équipes capables de fonctionner avec une grande autonomie.

De là nous avons sans doute été trop hâtifs à en conclure que les manageurs n’étaient plus utiles. Mais si leur pouvoir de décision absolue disparaît, il reste une certaine reconnaissance de l’expérience, de la capacité de conseils de certains ou encore du pouvoir de facilitation d’un « manageur » (même chez Morning Star). Il ne s’agit donc pas tant d’une disparition que d’une profonde transformation.

Cette incompréhension est aussi question de vocabulaire et d’image.

De vocabulaire, car le terme de manageur est devenu un immense fourre-tout qui englobe les notions les plus diverses. Stricto sensu le terme anglais de manager serait issu du vieux terme français « mesnager » qui signifie « tenir en main les rênes d’un cheval » et qui par extension a signifié tenir les rênes de l’organisation (source Wikipédia: https://fr.wikipedia.org/wiki/Management). On parle donc essentiellement de commandement et de contrôle; une fonction qui, il est vrai, disparaît dans les organisations plates.

Mais c’est aussi une problématique d’image, car l’inconscient collectif a fait du manageur une sorte de superhéros en charge de tous les problèmes de l’entreprise. Le manageur planifie, décide, organise, dirige, développe, transforme, inspire, contrôle et récompense. Le poste de manageur, c’est le point de passage obligé pour évoluer dans sa carrière. Devenir manageur c’est avoir réussi.

Le rôle reste, mais la fonction disparaît

Là, où il y a changement c’est que dans une organisation sans hiérarchie l’ensemble de ces tâches sont distribuées. Il n’y a plus une fonction qui porte l’ensemble du monde sur ses épaules, mais un rôle qui peut être endossé par plusieurs de manière limitée dans le temps ou sur des périmètres prédéfinis. Il y a aussi une véritable symbiose entre responsabilité et redevabilité de manière à sortir du responsable, mais pas coupable derrière lequel on peut s’abriter parfois. Enfin c’est aussi la reconnaissance de la différence entre management et leadership. Comme le rapportent John Mackey et Rajendra Sisodia dans Conscious Capitalism:

 

« Leadership and management are not synonymous. Leadership is mostly about change and transformation. Management is about efficiency and implementation. »

 

Le management, c’est l’efficience et l’implémentation. Dans une organisation plate, il relève donc de la responsabilité et de la redevabilité de chacun. Mais si le leadership s’attache au changement et à la transformation, cela devient un rôle bien particulier. C’est une action globale sur l’entreprise qui a besoin d’individus identifiés pour la porter.

Leadership-is-about-change-and-transformation.png

Le leadership c’est le changement et la transformation… enfin peut-être pas celle-là!

Le manageur porte la vision et crée l’alignement

Ces leaders dont l’organisation a besoin peuvent être de nouvelles personnes, mais sont aussi potentiellement les anciens manageurs de l’entreprise. Ce qui évolue, c’est que quand autrefois les manageurs établissaient une vision plus imposée que partagée et s’attardaient essentiellement à l’implémentation, ils ne sont aujourd’hui légitimes que parce qu’ils suscitent l’adhésion et portent le changement. Ce faisant, ils créent naturellement l’alignement sans avoir recours au contrôle et en préservant ainsi l’intelligence collective. C’est là toute leur valeur.

Définir cette vision qui englobe et emmène l’organisation est une quête du sens qui se fait à plusieurs niveaux. La première étape, sans doute la plus importante, est la définition de la raison d’être de l’entreprise:

 

« Qu’est-ce qu’une raison d’être? Pour le dire simplement c’est une déclaration ferme à propos de la différence que vous essayez d’accomplir. Si vous avez une raison d’être et que vous pouvez l’articuler avec clarté et passion, tout fait sens, tout devient fluide. Vous êtes heureux de ce que vous faites et savez clairement comment y parvenir. Plus vous avez de parties prenantes, plus il est important d’avoir une raison d’être simple et clairement définie auprès de laquelle chacun et chaque chose peut s’identifier et un ensemble de valeurs fondatrices qui définissent la manière dont les gens interagissent les uns avec les autres. » – (Roy Spence, Haley Rushing – It’s not what you sell, it’s what you stand for)

 

Que ce soit des Leaders ou des Manageurs, il est essentiel d’avoir des personnes passionnées, capables de créer cette vision et de « susciter le désir de la mer dans le coeur des hommes ». Par leur charisme et leur énergie, ces personnes seront capables de fédérer l’organisation autour de la définition de cette vision y compris à travers des processus parfois lents et exigeants. Lorsque les dirigeants d’Harley-Davidson s’engagent sur le chemin de la libération en 1987, ils entament une démarche qui durera plus de 7 ans! (More than a motorcycle: the leadership journey at Harley-Davidson)

Pour ce qui est de la forme que peut prendre cette raison d’être ou de la manière de s’y prendre, il n’y a pas de recette unique. Chaque entreprise devra trouver la sienne. John Mackey et Rajendra Sisodia proposent toutefois de regrouper les raisons d’être en quatre grandes catégories. Ce ne sont peut-être pas les seules possibles, mais elles peuvent vous servir d’inspiration:

  • The Good (Le Bon): Le service des autres, l’amélioration de la santé, de l’éducation, des communications ou de la qualité de la vie
  • The True  (Le Vrai): Une quête qui vise à découvrir de nouveaux savoirs et à élargir la connaissance humaine
  • The Beautiful (Le Beau): Une forme de recherche de l’excellence et de création de ce qui est beau
  • The Heroic Courage (Le Courage Héroïque) : Le courage à faire ce qui est juste et la volonté de changer le monde.

Il s’agit bien ici de définir une forme de vision transcendante. C’est la Vision avec un grand V au service de laquelle se met l’organisation. Malheureusement cette vision a souvent été dévoyée au profit de messages convenus et consensuels qui n’ont d’autre vocation que de redorer l’image de marque de l’entreprise auprès de l’extérieur. En cela, il faut faire attention à ce que cela ne soit pas un simple discours de façade, une phrase-choc que nous affichons sur notre site web. C’est là l’expression réelle de la finalité de l’entreprise (son purpose comme disent les anglais) La vision n’est valable que si l’ensemble des acteurs de l’entreprise peuvent s’y identifier. Si cette vision ne restait qu’apparence, elle ne pourrait pas servir son rôle d’alignement et perdrait toute valeur. Le manageur-leader est alors le garant de cette vision, il en est à la fois le défenseur, le promoteur et l’arbitre. Il sert de référent en cas de doutes.

Si le manageur est là pour définir et communiquer cette vision d’entreprise, ce n’est pas sa seule mission. Il a aussi un rôle à jouer dans l’expression d’une vision quotidienne. La quête du sens se fait à tous les niveaux et il ne faudrait pas croire que donner du sens à une action même banale est inutile. Ainsi comme le rapporte une étude de la Harvard Business School le fait d’instaurer un lien visuel entre ceux qui préparent la nourriture au sein d’une cafétéria et ceux qui la consomment est déjà créateur de valeur. Ce simple artefact suffit en effet à ce que la qualité des préparations et la satisfaction des consommateurs s’améliorent.

Le manageur cultive un cadre propice à l’engagement

La mission du manageur ne s’arrête pas à la définition de cette vision. Dans une entreprise sans hiérarchie, il peut être difficile d’obtenir l’engagement des employés. Certes, la vision joue un rôle, mais elle n’est pas le seul ressort de la motivation. Cette motivation, il faut la travailler et bien qu’il soit illusoire de vouloir motiver les gens, nous pouvons néanmoins créer le cadre propice à leur investissement. C’est là encore une responsabilité toute désignée du manageur.

Jesper Isaksen est l’auteur d’une étude intitulée Constructing meaning despite the drudgery of repetitive work. Comme le rapporte Sandrine Hassler Vinay, il y détermine 8 éléments qui permettent de donner du sens au travail et sur lesquels le manageur peut agir. On peut les regrouper en quatre catégories. Trois nécessaires à la motivation intrinsèque présentée par Daniel Pink: le sens, l’autonomie et la maîtrise. Une quatrième nécessaire au bonheur, la dimension sociale:

  • Sens
    • Pouvoir s’identifier à son travail (ce qui nécessite de rendre claire la Vision avec un grand V qui inspire les individus et à laquelle on puisse s’identifier.)
    • Avoir le sentiment de pouvoir contribuer à l’accomplissement d’un projet (il s’agit de percevoir l’impact de notre travail sur le plus grand ensemble.)
    • Avoir un sentiment de responsabilité et de fierté (ce qui relève un peu de toutes les dimensions, la fierté pouvant relever de l’importance du sens de nos actions, de notre capacité à avoir atteint une maîtrise supérieure ou encore de la reconnaissance sociale du travail accompli. Le sentiment de responsabilité quant à lui relevant aussi clairement de l’autonomie.)
  • Autonomie
    • Participer à l’amélioration de l’efficacité des processus et des conditions de travail (c’est une forme d’autonomie qui rend le contrôle sur son travail à l’individu.)
    • Avoir un sentiment d’autonomie et de liberté
  • Maîtrise
    • Pouvoir apprendre et avoir du plaisir à accomplir son travail (autrement dit, le fait de pouvoir développer ses compétences et son savoir-faire.)
  • Social
    • Développer de bonnes relations avec les autres (un des secrets du bonheur comme nous l’avons vu dans notre article précédent avec l’étude la plus longue sur le bonheur.)
    • Percevoir que le travail accompli est important pour les autres (ce qui donne du sens tout en participant à la dimension sociale du travail.)

Nous le voyons, il ne s’agit pas d’éléments qui relèvent seulement de l’individu, mais d’éléments pour lesquels le groupe peut avoir un rôle à jouer. En reconnaissant leur importance, en s’attachant à les rendre visibles, en les préservant ou en les développant par le feedback, le manageur a donc une place particulière dans la motivation intrinsèque des personnes.

Le manageur permet la réalisation de nos potentiels

Au-delà de ce travail sur le sens, le manageur a aussi une carte à jouer dans la création des conditions pour que les gens donnent le meilleur d’eux-mêmes. Comme le rapporte Clayton M. Christensen dans The Innovator’s Dilemma:

 

« Si un manageur déterminait qu’un employé était incapable de réussir dans une tâche, il ou elle trouverait soit quelqu’un d’autre pour faire le travail ou formerait attentivement l’employé pour qu’il soit capable de réussir. La formation fonctionne souvent, car les individus peuvent devenir compétents dans une multitude de tâches. En dépit des croyances créées par les programmes populaires de change-management et de reingineering, les processus ne sont pas autant flexibles ou « entrainables » que le sont les ressources – à plus forte raison les valeurs. »

 

Le manageur nous e-le-ve vers de nouvelles hauteurs

Le manageur nous élève vers de nouvelles hauteurs

Cette capacité d’une organisation apprenante comme aime à l’appeler Peter Senge dans La cinquième discipline est une des différences essentielles entre l’organisation hiérarchique classique basée sur des processus et l’organisation plate qui s’appuie sur le savoir des individus. Si nous ne cherchons pas à développer les compétences des personnes, si nous ne créons pas le cadre pour leur permettre de progresser en maîtrise, nous ne pouvons pas prétendre obtenir d’eux la motivation intrinsèque dont parle Pink.

Plus concrètement, le manageur de ces organisations devra développer les échanges et la communication qui sont la base de l’innovation et de l’apprentissage. Il s’agit de mettre en oeuvre les compétences que l’on trouve au stade 4 et 5 du Tribal Leadership où le leader cherche à mettre en relation des personnes non pas pour son bénéfice personnel, mais pour le bénéfice du groupe. Le manageur devient alors facilitateur. Il connecte les personnes pour qu’elles expriment leur plein potentiel.

Il a enfin un rôle difficile à jouer d’alignement entre la stratégie de l’entreprise, ses valeurs et sa culture. Il doit ainsi s’assurer que la stratégie mise en place soit au service de la vision d’entreprise, il doit vivre, transmettre et préserver les valeurs qu’elle cherche à exprimer et il doit savoir s’appuyer sur la culture qu’elle manifeste à travers ses histoires, ses mythes ou simplement la façon dont les choses sont faites. On a attribué à Peter Drucker cette phrase célèbre « Culture eats strategy for breakfast ». Mais il ne s’agit pas tant de savoir si la culture est plus importante que la stratégie, que d’avoir congruence entre les deux comme l’explique Ken Favaro dans cet article: Strategy or culture: Which is more important? Si vous avez une culture de la parcimonie, mais que vous cherchez à vous développer dans les domaines du luxe, il y a en effet bien peu de chances que vous réussissiez. Si le manageur ne travaille pas sans cesse à cet alignement entre la pensée et les actes de l’entreprise, l’équipe ne peut pas libérer son plein potentiel.

Un manageur reconnu par ses pairs

Si le manageur évolue plus qu’il ne disparait, s’il devient essentiel pour assurer l’alignement, définir le sens et faire progresser les individus, la façon dont il exerce son rôle et les compétences sur lesquelles il doit s’appuyer changent elles aussi.

Tout d’abord, le rôle du manageur n’est plus lié à une personne et à un poste.

Dans une organisation sans hiérarchie, nous ne sommes plus nommés, mais reconnus comme manageur. C’est la reconnaissance de nos pairs qui nous donne notre légitimité de manager. Ce n’est plus une question de pouvoir, mais de leadership. Comme le dit Sylvaine Pascual dans un article sur le leadership de soi:

 

Le pouvoir va du haut vers le bas, il s’exprime de manière hiérarchique. Le leadership va du bas vers le haut: on est reconnu leader par son groupe.

 

Le leadership va du bas vers le haut

Le leadership va du bas vers le haut : on est reconnu leader par son groupe

Pour les organisations ayant entamé ce chemin et ayant encore une forme de hiérarchie formelle (bien qu’avec un nombre d’étages extrêmement réduit), le manageur est souvent élu et/ou noté par ses pairs. C’est le cas chez FAVI, Semco ou HCL Technology entre autres. La position de manageur n’a alors plus rien de définitive. Chez Semco les cadres sont évalués (et même recrutés) par les employés. S’ils n’atteignent pas un seuil de satisfaction suffisant, ils doivent laisser leur place.

Lorsque la structure est encore moins formelle, chacun devient alors manageur. Lorsque chacun devient autonome et peut prendre des décisions alors chacun est aussi responsable et redevable de son travail. Chez Morning Star, l’ensemble de ces responsabilités et redevabilités est régi par une C.L.O.U (Colleague Letter Of Understanding), c’est-à-dire un document qui vient définir l’engagement de la personne envers ses pairs. En Holacracy c’est le but des « rôles » qui comportent systématiquement une raison d’être, un ou des domaines et un ensemble de redevabilités. En rendant visibles ces engagements, Morning Star ou l’Holacracy s’assurent à la fois de leur réalisation et de la transparence nécessaire à leur bonne exécution et évolution dans le temps. Chacun dans l’organisation sait en effet auprès de qui s’adresser sur un sujet donné ou peut demander à faire évoluer un rôle lorsque le besoin s’en ressent.

Si le rôle de manageur n’est plus lié à la personne, il n’a plus non plus nécessairement la même portée que dans le passé. Quand le manageur traditionnel est responsable de tout un département, un manageur dans une organisation plate n’intervient parfois que sur un domaine très limité. Le manageur étant choisi, il est reconnu pour son savoir ou ses compétences. Nous pouvons ainsi consulter quelqu’un pour obtenir son avis sur un sujet sur lequel nous reconnaissons sa valeur tout en consultant une tout autre personne sur une autre partie de ce même sujet.

Ce qui nous amène certainement au changement le plus important du rôle de manageur à savoir l’absence de pouvoir de décision finale. Non pas qu’il ne puisse pas prendre de décision, mais celles-ci n’ont pas plus de poids dans l’organisation que celles de n’importe qui d’autre. Le rôle est avant tout consultatif et la décision peut facilement être remise en cause si elle ne sert pas l’organisation. Le monde du développement logiciel Open Source en est d’ailleurs un remarquable représentant. En cas de dissension, rien n’interdit à un développeur de réaliser un fork. S’il est capable d’embarquer suffisamment de contributeurs dans sa vision, celle-ci peut même devenir la nouvelle norme. Il n’est d’ailleurs pas rare de voir certains de ses forks réintégrés par la suite une fois leur valeur reconnue.

Manager des hommes plus que des tâches

Au-delà de cette distinction entre rôle et personne, le manageur évolue aussi dans les tâches qu’il accomplit. Quoi que nous en disions, il faut bien reconnaître que le plus souvent un manageur traditionnel gère avant tout des tâches plus que des hommes. En y réfléchissant, c’est fort compréhensible, la tâche ayant cet avantage sur la personne qu’elle n’éprouve pas d’émotions. Sans états d’âme, c’est tellement plus simple à manager ! Ainsi, dans les plannings les personnes ne sont plus que des hommes/jour, la valorisation des personnes un formulaire annuel, le développement des compétences un plan RH standardisé (ah les fameuses formations prise de parole en public ou Microsoft Office!).

Manager les hommes pour les aider à progresser c’est à la fois plus riche et… tellement angoissant! En effet, le plus souvent nous n’avons pas été formés à cela. Le leadership demande de l’intelligence émotionnelle. Il met l’accent sur de nouvelles compétences, ce qu’on appelle les soft skills, qu’il n’est pas aisé de mettre en oeuvre. Comme le dit Manfred Kets de Vries professeur en leadership à l’INSEAD dans un article intitulé Evolving leadership in the digital age, le leadership va même au-delà de compétences personnelles puisqu’il doit être distribué au sein de l’organisation. Le bon leader est celui qui sait s’appuyer sur le pouvoir des réseaux pour les organiser, les développer et les motiver.

Le nouveau manageur est ainsi surtout un facilitateur. Il n’est plus ce leader charismatique dont on nous a tant vanté les mérites. Il va au-delà. C’est un Leader-leader comme le dit le L. David Marquet, ancien commandant de sous-marin nucléaire dans Turn the ship around. Il ne cherche plus tant à développer son aura qu’à faire émerger de nouveaux leaders. Pour cela, il cherche constamment à placer l’autre dans une position de leader. Il le met dans une position de confiance, l’aide à prendre des décisions parfois avec de simples artifices. L. David Marquet, nous rapporte d’ailleurs comment il a transformé son sous-marin en demandant à ses membres d’équipage de s’exprimer en commençant par annoncer ce qu’ils avaient l’intention de faire (« I intend to« ). Cela peut sembler futile, voire inutile. Pourtant le choix des mots n’est pas sans conséquence: il peut être décisif pour aider à la progression de l’équipe (Why motivating others starts with using the right language).

Cette évolution vers ce nouveau rôle de manageur est aussi et avant tout un cheminement personnel. La mise en oeuvre de ces soft skills va de pair avec une évolution de l’individu à travers des étapes de développement personnel comme celles proposées par la Spirale dynamique. Une évolution rendue d’autant plus difficile que les niveaux de conscience supérieurs ne sont pas accessibles (et compréhensibles) pour l’individu tant qu’il ne les a pas atteints. Si le manageur veut pouvoir jouer ce rôle de chef d’orchestre qui emmène et même aller encore plus loin en devenant un simple membre d’un jazz band qui improvise tout en restant musical, il doit développer une personnalité en accord. En simplifiant grandement les diverses étapes (ou Mèmes) de la théorie de la spirale dynamique, on comprend bien que le mème rouge où le pouvoir s’exprime par la force, le bleu qui est dogmatique ou même le orange basé sur la compétition ne sont pas les meilleurs mèmes pour agir dans un groupe autonome. Pour permettre à une organisation complexe de bien s’exprimer, le manageur doit atteindre le mème vert (avec la notion de service pour la communauté) ou mieux le mème turquoise (avec une pensée holistique et systémique). Dans une organisation qui fonctionne en réseaux et valorise le groupe plus que l’individu, il y a là un savoir-être essentiel à la mise en oeuvre de l’intelligence collective.

Les organisations de demain

À l’heure de la conclusion, c’est une évidence, non seulement la fin de la hiérarchie ne signifie pas celle du manageur, mais c’est même son renouveau. Débarrassé de sa fonction hiérarchique de command and control, le manageur évolue et peut enfin prendre la pleine dimension de son rôle. Le manageur a muté, sa mission a changé sans même qu’il ne s’en rende compte. Et le changement est profond puisqu’il ne s’agit pas seulement d’évoluer vers des postures de leadership, mais bien de trouver les clés pour libérer les initiatives et permettre la création de nouveaux leaders. Il ne s’agit plus de manager les chiffres, mais de manager l’humain.

Aujourd’hui, ces organisations sans chef restent de véritables OVNIs. Elles suscitent la curiosité, font parler d’elles dans les médias, séduisent même, mais peu les ont réellement vues à l’oeuvre. Pour autant, elles pourraient bien demain devenir la norme. Comme l’a dit Goethe:

 

« Nous sommes davantage les enfants de notre époque que ceux de nos parents. »

 

Et justement, notre époque a complètement révolutionné nos modes de fonctionnement. L’instantanéité de la communication, la culture des réseaux, l’innovation galopante, autant d’éléments qui marquent notre temps. La génération Z nous envahit et c’est une génération d’entrepreneurs. Elle consomme l’entreprise comme n’importe quel bien de consommation courante et ne se voit pas fonctionner sans autonomie. Pour elle la notion de hiérarchie est déjà révolue. C’est aussi une génération qui évolue dans un univers de complexité jamais atteint alors et qui, de ce fait, a toutes les clés nécessaires pour le succès de ces organisations plates.

Pour celui qui n’est pas digital native, l’évolution n’est pas sans heurts. Comme le montre l’article de Arnaud Bracchetti, Être manageur dans une entreprise agile, l’acquisition des compétences du manageur Agile ne se fait pas sans difficulté. Ce changement peut faire peur, on peut le voir comme une fatalité, on peut se décourager face à son ampleur. Si l’on en croit John Kotter, ce changement ne serait même pas possible sans sentiment d’urgence. Pour autant, le changement en soi n’est ni bon, ni mauvais, il est. Et lorsque Peter Senge, demande aux participants de ses conférences combien d’entre eux croient que les individus et les organisations ne changent qu’en cas de crise, une vaste majorité lève la main. Mais s’il les incite à imaginer un monde parfait, sur tous les plans et leur demande ce qu’ils feraient alors, la réponse est générale:

 

« Nous tenterions de changer, de créer quelque chose de nouveau! »

 

 


 

L’article aurait pu s’arrêter ici (en fait, cela a même longtemps été le cas). Et puis comme les films récompensent les plus cinéphiles d’entre nous avec des images post générique qui donnent souvent un nouvel éclairage sur l’oeuvre, je vous suggère une dernière réflexion.

Certains des concepts que nous avons abordés n’ont en effet rien de récent. Les travaux sur la motivation intrinsèque remontent aux années 60. D’autres idées sont encore plus anciennes. Dès 1924 dans Creative Experience, Mary Parker Follett remettait en cause le leadership comme exercice du pouvoir et valorisait la création de leaders, la diversité des points de vue et les communautés autonomes. Malgré cela, le modèle prévalent aujourd’hui reste celui du bâton et de la carotte. L’organisation reste orientée command and control. Après toutes ces années, nous pouvons nous demander pourquoi le changement n’est encore qu’émergent? Pourquoi donc est-il si difficile d’évoluer en l’absence de sentiment d’urgence?

Et si l’on cherche à trouver la cause racine de ce problème, Gary Hamel nous propose dans La fin du management l’éclairage suivant:

 

« Inutile de dire que si vous encouragez vos collègues à continuer à se demander « pourquoi », ils finiront par atteindre la vraie raison pour laquelle il faut une crise pour provoquer de grands changements: trop d’autorité a été investie en trop peu de personnes. Quand le pouvoir est concentré en haut, quelques seniors exécutifs peuvent retenir la facilité de l’organisation à changer en otage de leur propre volonté ou capacité à changer. Les anciens de la direction établissent le business model actuel, ou sont promus pour le perfectionner. Leurs carrières, compétences et modèles mentaux sont inextricablement liés au statu quo et ils peuvent difficilement imaginer d’alternatives. Rien d’étonnant à ce qu’ils ignorent ou négligent les informations qui répandent le doute sur leur stratégie actuelle. »

 

Trop d’autorité en trop peu de personnes… C’est sans doute là tout le noeud du problème. Pour s’exprimer, l’intelligence collective a besoin de diversité, de décentralisation, d’indépendance, mais aussi de coordination. Il est temps de penser l’entreprise et le manageur autrement…

 

Bibliographie:

  1. La fin du management – Gary Hamel, Bill Breen
  2. Reinventing Organizations – Frederic Laloux
  3. Turn the ship around – L. David Marquet
  4. La sagesse des foules – James Surowiecki
  5. La vérité sur ce qui nous motive – Dan Pink
  6. Conscious Capitalism – John Mackey, Raj Sisodia
  7. Liberté & Cie – Isaac Getz, Brian Carney
  8. La belle histoire de Favi – Jean-François Zobrist
  9. Maverick – Ricardo Semler
  10. Delivering Happiness – Tony Hsieh
  11. La Spirale Dynamique – Fabien Chabreuil
  12. Complexity the emerging science at the edge of order and chaos – M Mitchell Waldrop
  13. Employees First, Customers Second – Vineet Nayar
  14. La Révolution Holacracy – Brian J. Robertson
  15. Tribal Leadership – Dave Logan, John King, Halee Fischer-Wright
  16. The Innovator’s Dilemma – Clayton M. Christensen
  17. La Cinquième Discipline – Peter Senge
  18. More than a motorcycle – Rich Teerlink, Lee Ozley
  19. Let my people go surfing – Yvon Chouinard
  20. The Peaceable Kingdom – Stan Richards
  21. Joy, Inc. – Richard Sheridan
  22. Beyond Empowerment – the age of the self-managed organization – Doug Kirkpatrick
  23. Petite poucette – Michel Serres

Viewing all articles
Browse latest Browse all 1865

Trending Articles