- Règle n° 1. Le Chef a toujours raison.
- Règle n° 2. Le Chef est toujours le chef, même en slip de bain ou sans
- Règle n° 3. Si le chef à tort se référer à la règle numéro 1
La posture du manager évolue
On connaît tous ces trois règles ou une de leurs variantes. Elles nous font sourire parce qu’elles contiennent une part de vérité. Cette culture du chef est très ancrée dans les entreprises françaises. Pourtant elle va à l’opposé des valeurs de l’agilité qui prônent une culture du meneur au service de ses équipes, ce que les anglo-saxons nomment le servant leader.
La posture d’un chef omnipotent et omniscient n’est donc plus ni souhaitée, ni voulue. En effet le chef est-il toujours le chef s’il peut se faire challenger, s’il est transparent avec ses équipes et s’il ne peut pas imposer ses méthodes ?
La posture des managés doit aussi évoluer
Malgré sa bonne volonté le manager en cours de transformation agile peut retomber dans des réflexes d’autoritarisme et de contrôle. C’est à ce moment que les équipes doivent elles aussi réagir et aller à l’encontre de la facilité, en challengeant cette posture de chef. Car le chef peut garder cette posture si et seulement si ses subalternes l’acceptent.
Cette démarche n’est pas naturelle, car il est souvent plus simple, plus rapide, et moins risqué de répondre aux ordres reçus que de les challenger. C’est un calcul courtermiste qui, sur le long terme pourra nuire à l’équipe et à l’entreprise au global. Mais, pris individuellement, ce calcul, peut se comprendre car le manager garde la plupart du temps certaines responsabilités, comme la distribution de primes ou des tâches, qui lui donnent une emprise sur ses subalternes, dont il peut user et abuser.
Dans l’armée, organisation où la culture du chef est vitale, à l’organisation et à chacun de ses membres, il existe cependant un devoir de désobéissance. Il peut s’énoncer de la manière suivante : le subordonné doit refuser d’exécuter un ordre prescrivant d’accomplir un acte manifestement illégal. L’entreprise est rarement régie par une loi interne telle que la loi martiale. Par contre la plupart des entreprises ont un règlement interne, un manifeste ou une culture qui est mis en avant et auquel les employés doivent se référer.
Quelques outils de déconstruction
La déconstruction de la culture du chef passe donc par deux axes. Le premier consiste à retirer aux managers toute forme d’emprise sur ses subalternes qui pourrait devenir arbitraire. C’est le cas par exemple de la distribution de primes, de la distribution de tâches ou de rôles. En effet un manager peut facilement léser un subalterne en le privant de primes, en ne lui affectant que des tâches ayant une faible valeur ajoutée, voir en arrêtant de lui affecter des tâches – la fameuse mise au placard. Sans ces outils le manager ne peut plus agir de manière oppressive et devient obligé de se légitimer autour d’autres facteurs comme son leadership et la valeur qu’il apporte à l’équipe.
Le deuxième axe de déconstruction passe par une posture individuelle qui challenge de manière systématique les positions de type command and control. Je vais donner ci-dessous quelques exemples classiques et la bonne posture à avoir face à ces demandes.
Le premier exemple, est la demande de visibilité via des indicateurs de performances : les KPIs (Key Performance Indicators). La transparence est une des valeurs forte de l’agilité. En cela la demande d’indicateurs de performance n’est pas antinomique à l’agilité, cependant l’équipe doit évaluer si cet indicateur a de la valeur pour elle-même ou non. Dans le premier cas l’équipe produit le KPI et le transmet à son management. Il n’y a là aucun débat à avoir. Dans le second cas, le produire ne serait que pure perte de temps pour l’équipe et donc une perte d’efficacité. C’est en cela qu’il est nécessaire de challenger la production d’indicateurs tout en mettant à disposition du management toutes les informations déjà existantes permettant de le produire. Si ce KPI est vraiment utile, l’équipe pourra le produire. Remarquons que si le KPI n’a plus de valeur, ceux qui le désiraient arrêteront de le produire. Le refus ici permet de s’assurer que l’entreprise est efficace en ne produisant que les indicateurs nécessaires.
Le second exemple consiste dans le contrôle de la présence et des horaires. Encore un classique de certains managers qui associe la masse de travail réalisée à la présence du collaborateur. Si cela peut être assez vrai pour des travaux manuels et mécaniques (et encore, les temps de repos favorisent aussi la productivité), il l’est beaucoup moins pour les travaux créatifs et intellectuels. Le contrôle des horaires pour l’avoir vécu va plutôt dans le sens d’une démotivation et donc d’un travail moins efficace et de plus faible qualité. Ce comportement étant contre-productif l’équipe devra rassurer le manager sur sa capacité à livrer de la valeur rapidement et régulièrement, ce qui est justement encore une fois un des principes fort de l’agilité. Ceci se fera entre autre en faisant bien attention à être capable de découper finement les user stories.
Mon dernier exemple consiste en la réponse à l’urgence exprimée par les managers. J’ai personnellement connu certains managers qui venaient en permanence avec une nouvelle urgence encore plus urgente que les précédentes et ce plusieurs fois par jour. Ce changement permanent de priorité, me donnait la sensation de ne plus rien maîtriser. A avancer sur tous les sujets urgents en parallèle, je n’étais plus capable de faire avancer les sujets de fonds permettant de réduire les urgences et j’en finissais par perdre le sens de mon travail. Sens et maîtrise constituent deux des trois piliers de la motivation, le troisième étant la reconnaissance. Il est donc nécessaire de challenger ce type de comportement démotivant. Les méthodes agiles apportent déjà les réponses en priorisant les demandes par la valeur et en s’assurant qu’elle soit conforme à la definition of ready. Cette priorisation se fait uniquement pendant des rituels définis et de manière régulière, évitant ainsi les changements inconsistant.
La déconstruction de la culture du chef, un travail d’équipe
Pour être efficace, les postures décrites ci-dessus doivent être prises par l’ensemble des subordonnés d’un même chef dans le même temps et ce, en toute bienveillance. Dans le cas contraire on pourrait arriver à des situations contre-productives ou à des blocages, comme la marginalisation de certaines personnes ou une rupture totale de communication.
La transformation vers l’agilité et l’ancrage de cette culture au sein de l’entreprise sont donc l’affaire de tout un chacun. Ils ne peuvent se cantonner qu’aux managers, ni qu’aux opérationnels. Les managers doivent donner plus d’autonomie à leurs équipes, mais les équipes doivent aussi gagner en autonomie en étant responsables de leurs actes. La responsabilité du succès de la transformation est donc un travail d’équipe. Encore une grande valeur de l’agilité !