Avez-vous déjà rencontré ce genre de fichier Excel dont l’auteur vous explique fièrement qu’il gère finement le pilotage de ses 25 collaborateurs ? Vous savez, ce genre de fichier qui contient 156 lignes, non 157, non 158, non… enfin beaucoup de lignes, dont chacune détaille qui, quand, quoi, comment, avec qui, sur quoi, pour quand, pourquoi, pour qui, le tout avec un identifiant unique bien sûr. Quelque chose comme ça :
Ah, si vous n’êtes pas l’un de ces collaborateurs, peut-être est-ce vous qui utilisez ce fichier que vous considérez comme la clé de voute de votre réussite professionnelle et que vous n’abandonneriez pour rien au monde. Ce genre de fichier Excel est un peu un miroir aux alouettes, il donne à son auteur une impression de maîtrise et de détail, le fichier est extensible et l’on peut ajouter autant de lignes que nécessaire. Pourtant la réalité n’est pas aussi simple.
Aujourd’hui, nous allons voir ce que nous reprochons à ce fichier Excel et comment s’en passer définitivement.
J’ai souvent été confronté dans différentes missions, sur de gros projets, avec beaucoup d’acteurs (internes / externes), à des fichiers Excel de plusieurs centaines de lignes tenus par les équipes de pilotage d’équipes Scrum (équipes étendues). La mise à jour du fichier se fait généralement lors de réunions hebdomadaires interminables et non productives. La lecture du fichier se fait généralement … jamais. C’est malheureusement trop souvent le cas dans des mises à l’échelle. L’agilité se fait au niveau de l’équipe mais on retrouve les bonnes vieilles techniques de management pour synchroniser l’ensemble des parties prenantes (marketing, tests, infra…).
Nous retrouvons la structure la plus courante du fichier Excel : le Qui / Quand / Quoi. Voici un exemple :
Avec ce type de fichier, à moins d’avoir une mémoire d’éléphant, il devient impossible d’avoir une vision globale. Les acteurs sont démotivés, n’écoutent plus, n’ont plus envie de venir en réunion, les tâches perdent de leurs pertinences et ne sont plus traitées, de nouveaux degrés d’alerte apparaissent, la priorisation est de plus en plus difficile, voire impossible… Plus grave encore, des éléments plus structurants pour la fluidité du travail passent totalement inaperçus et ne permettent pas d’anticiper les problèmes : surcharge, goulots d’étranglement non visibles, détection des points de blocage, etc.
Outre les problèmes de fond, des problèmes logistiques viennent s’ajouter : maintenance du fichier, suivi et mise à jour, accès concurrents, versionning, etc.
Dans ce contexte, comment piloter l’activité, maîtriser tous les sujets et anticiper les risques afin de permettre aux équipes Agiles de travailler le plus efficacement possible ? Soyons réaliste… C’est IMPOSSIBLE !!!
Management visuel et Stand-up
Malgré la popularité de ce format, les équipes de pilotages souffrent et ne peuvent que rarement exploiter la mine d’informations contenues dans ce fichier. Je vais donc vous présenter une solution simple pour se débarrasser de cette boîte de Pandore en reprenant quelques principes du Manifeste Agile :
- Favoriser la communication plutôt que les processus et les outils,
- Favoriser un logiciel qui fonctionne plutôt qu’une documentation exhaustive.
Le principe est d’instaurer un management visuel et changer le format du weekly en Stand-Up. Dans quel but ? Avoir une vision globale, rendre visible l’avancement des tâches, rendre visible les goulots d’étranglement et les points de blocage, réduire le temps du weekly, favoriser la communication, améliorer la cohésion, etc.
Afin de ne pas réinventer la roue, nous proposons un stand-up calqué sur le Daily SCRUM. À tour de rôle, pendant 3 minutes, chaque participant répond à trois questions :
- Qu’est-ce que j’ai fait la semaine dernière ?
- Quels sont les problèmes que je rencontre ?
- Qu’est-ce que je compte faire cette semaine ?
La deuxième étape est de responsabiliser les participants à la levée des obstacles. Ils disposent de 30 minutes pour communiquer entre eux de leurs actions potentielles. L’objectif est de lever un maximum d’obstacles.
La troisième étape est de clore officiellement le standup et de fixer la date du prochain weekly, normalement une semaine plus tard, mais au mois de Mai cela peut changer ;-)
Le point clé de cette solution est de concevoir la structure de l’affichage visuel. Le principe du tableau est inspiré de l’approche Kanban mais nous ne reprenons pas tous les principes. Nous garderons un découpage de l’espace en zones de travail dans lesquelles vont transiter les tâches. L’objectif est d’identifier en un coup d’oeil le volume de travail dans un état précis, tout en conciliant une simplicité d’utilisation. Par rapport à un Kanban classique, les tâches n’auront pas forcément le même cycle de vie, il faut donc rester simple sur la structure du flux de travail.
Le Lean board
Lors d’une précédente expérience, j’ai participé de l’intérieur à une transformation Lean pour l’IT. Les équipes de Coachs ont déployés dans chaque équipe de développement un Kanban assez différent de ce que l’on a l’habitude de voir. L’objectif de celui-ci était de rendre visible le « Qui fait quoi? ». Attention : l’état d’esprit est toujours Agile, il n’est pas question ici de tracking mais bien de limiter toute forme de gaspillage. J’ai trouvé ce format parfaitement adapté pour modéliser notre fichier Excel.
Comment ça marche?
Le tableau est divisé en quatre colonnes. L’aspect visuel est le suivant :
Avec quelques Post-It en plus :
Dans la colonne de gauche, nous listons les sujets, les thèmes principaux qui vont constituer un regroupement cohérent de tâches de la colonne « To Do », la correspondance entre les 2 est assurée par un alignement horizontal (ligne de nage) :
Lorsqu’un acteur démarre une tâche, il la positionne dans sa zone personnelle de la colonne « In Progress » :
Il n’est nullement ici question de « fliquer » les individus, mais bien de détecter les surcharges. Si l’aspect nominatif vous rebute, utilisez un avatar.
Enfin lorsque la tâche est terminée, vous savez ce qu’il se passe ?
Bien vu ! Elles passent à « Done ». Vous noterez également que nous ajoutons des cases supplémentaires pour visualiser des situations particulières et ne pas surcharger les cases individuelles :
- Stand-by : les tâches en attentes,
- Blocked : les tâches bloquées,
- Impediments : les problèmes à régler.
Retour d’expérience
J’ai mis en place cet outil chez deux clients, le premier avec une dizaine d’acteurs et le second avec une trentaine d’acteurs. Voilà mon retour d’expérience.
Règle n°1 : Le « grooming »
L’ajout de sujets et de tâches pendant le weekly ne fonctionne pas. Le consensus des acteurs sur la ou les nouvelle(s) tâche(s) et la rédaction des post-its constituent une perte de temps. De plus, il faut revoir régulièrement la priorisation des tâches. Ce n’est pas l’objectif du weekly. Rappelez-vous que tout le monde est debout. L’objectif est d’être efficace.
Il y a besoin de « groomer » et il faut prévoir un temps pour ça.
Règle n°2 : Un bon weekly est un weekly préparé individuellement
À l’échelle de la semaine, une rétrospective sur ce que l’on a fait, son engagement à venir et expliquer succinctement les problèmes que l’on rencontre ne s’improvise pas (mode « arrache »). Afin d’éviter les temps de recherche (effet découverte), il faut préparer son weekly pour être le plus synthétique possible. Chaque acteur dispose seulement de 3 minutes de temps de parole. Il n’y a rien de plus désagréable pour une assemblée que d’écouter quelqu’un qui vient en « touriste ».
Règle n°3 : Rendre l’urgence visible
Pour rendre les urgences visibles, il faut attirer l’oeil avec des signaux immédiatement perceptibles. Je vous conseille de ne pas dépasser 2 niveaux d’urgence afin de ne pas multiplier les signaux. Le management visuel pourrait devenir contre productif. Vous pouvez utiliser ça:
Remarque : étant donné que le tableau ne gère pas la priorisation (les tâches sont seulement classées par sujet), comment gérer l’urgence sans un signal visuel? Notez donc l’importance de cette règle accompagnée d’une revue régulière des urgences en « grooming » (règle n°1).
Règle n°4: Identifier les points de blocage
Afin d’identifier les points de blocage, pointer les tâches en cours toutes les semaines avec un point ou un bâton. Cette technique permet de rendre visibles les tâches qui stagnent.
Pour éviter cela, il est important de définir des tâches avec une bonne granularité. Idéalement, une tâche à un objectif bien précis avec un résultat attendu explicite et doit pouvoir être résolue en une semaine (notion de « SMART »). Si une tâche stagne, essayez d’identifier pourquoi et n’hésitez pas à la redéfinir, la découper ou même la supprimer lors de la séance de « grooming » (règle n°1).
Règle n°5: Instaurer des KPI ludiques
Afin de challenger les acteurs, mesurez toutes les semaines le nombre de tâches urgentes et celles qui vont le devenir, définissez des seuils et mettez en place un système de récompense si les objectifs sont atteints. Utilisez ces indicateurs pour encourager, créer de la cohésion et un esprit d’équipe.
Règle n°6: De la rigueur dans les post-it
Sur un gros volume de tâches, cela évite que votre tableau ne ressemble à un amas de feuilles qui inquiète plus qu’il ne rassure. Cela permet aussi de garder le contrôle. Pour cela, définissez une taille et un gabarit de post-it et respectez-le !
Règle n°7: Un peu de couleur
Vous pouvez avoir besoin d’identifier visuellement des types de tâche. Dans ce cas, attribuer une couleur par type. De même que pour les règles n°3 et 6, respectez toujours le code couleur (anticiper le réapprovisionnement de post-it) et limitez leur nombre pour éviter l’effet « arbre de noël » :-)
Et alors, ça marche?
Dans les deux cas, en l’espace de 3 semaines, les acteurs se sont appropriés l’outil. Le pilotage est redevenu efficace, avec une vrai visibilité, les urgences ont diminuées et les risques ont de nouveau été anticipés… sans parler du regain de cohésion engendré par la reprise de la communication.
Il faut néanmoins faire attention à « l’effet soufflé » ! Sans un grooming efficace (règle n°1) et une vigilance sur les post-it (règles n°6 et 7), le tableau peut rapidement devenir contre productif. L’animateur du weekly (Directeur de Programmes dans les deux cas) doit rester vigilant pour garder la dynamique du début.
Limitation : la mise en place a été effectuée dans des contextes distribués où il était possible aux acteurs de se rassembler sur site une fois par semaine. Si le déplacement n’est pas possible, rien n’empêche aux acteurs absents d’avoir une case « In Progress » pour donner de la visibilité à l’assemblée. Un suivi hors cérémonie est alors nécessaire et le besoin de dématérialisation reste entier (cf section suivante).
Et le fichier Excel dans tout ça?
Dans certains contextes, pour diverses raisons (culturelles, légales, simples sauvegardes…), les entreprises ont besoin d’écrits et de traçabilité et ce n’est pas NÉGOCIABLE. Welcome in the real world! Les puristes diront que ce n’est pas Agile… Sûrement !!! Mais en attendant de transformer toute l’organisation, on peut réfléchir à des solutions intermédiaires.
Voici deux propositions qui marchent : la première, abandonner le fichier Excel. Dans ce cas, la question du compte rendu de weekly est clairement posée. L’objectif est de garder une trace des changements intervenus au tableau. La seconde, garder le fichier Excel. Il faut alors le mettre à jour à chaque weekly. La mise à jour à tour de rôle est alors une bonne pratique.
Pour aider la prise de décision, posez-vous les bonnes questions :
- Est-ce vraiment utile ?
- Quels sont les objectifs du document ?
- À qui le document est-il destiné ?
- Le document est-il utilisé ?
- Qui rédige et quand ?
- Etc.
Dans tous les cas, rappelez-vous pourquoi vous passez au Management Visuel. Evitez la marche arrière et contentez-vous du minimum vital… Soyez EFFICACE !!!