Dans les grandes sociétés françaises, on entend de plus en plus parler d’Agilité, ou encore de transformations Agiles. Une transformation Agile est un véritable changement à tous les niveaux de l’entreprise ou du service concerné. Par conséquent, il est important de l’aborder avec méthode, en appliquant au mieux les principes de conduite du changement.
Mener une transformation Agile sur l’ensemble d’un service ou d’une DSI ce n’est pas la même chose que d’accompagner une petite équipe projet. On se retrouve vite confronté à de nombreux problèmes d’organisation, à certaines habitudes de travail, à une véritable résistance au changement. Tous ces problèmes étant bien sûr décuplés à mesure que la taille de la transformation augmente. On se rend alors vite compte que prendre les projets un par un et accompagner les équipes isolément les unes des autres n’est pas la bonne solution. La strate managériale étant très peu impliquée dans cette approche, une fois le projet terminé, tout le monde retrouve ses anciennes habitudes et tout est à recommencer.
John Kotter professeur à Harvard Business School, a identifié 8 étapes qui permettent de maximiser les chances de succès d’un projet de transformation. Je vous propose de les passer en revue en les illustrant de ce que j’ai pu rencontrer au cours de mon expérience.
Créer un sentiment d’urgence
Créer un sentiment d’urgence, c’est trouver les leviers qui vont donner envie immédiate à l’ensemble de l’organisation de bouger, sous peine d’une catastrophe imminente. C’est une étape essentielle qui doit permettre de mettre toute la structure en mouvement. Malheureusement, c’est très souvent une étape qui est sous-estimée, voire même sautée.
De ce que j’ai pu constater, une des raisons principales de la sous-estimation de cette étape est qu’elle met en avant les dysfonctionnements, les objectifs non atteints, les risques mal gérés et que derrière cela les collaborateurs, les managers, les dirigeants ont peur d’être mis en cause. Là où une culture très répandue dans les entreprises est de limiter au maximum les vagues, Kotter propose de créer un tsunami… Difficile à entendre, difficile à mettre en place, mais pourtant indispensable.
Jurgen Appelo dans son livre « how to change the world » donne un très bon exemple du besoin d’urgence.
« Mon oncle avait l’habitude de manger que des choses grasses et sucrées. Il savait que ce serait meilleur pour sa santé de manger plus sain et équilibré, mais il ne changeait pas sa façon de manger. Un jour lors d’une visite de routine, le médecin lui diagnostique un problème cardiaque et lui dit que s’il ne change pas immédiatement ses habitudes alimentaires il ne passera pas l’année. Du jour au lendemain, mon oncle a changé de régime alimentaire… »
De ce que j’ai pu voir, il y a un certain nombre d’actions qui peuvent aider à mettre en avant les vrais problèmes et à créer ce sentiment d’urgence.
- Amener tous les acteurs à rencontrer les utilisateurs finaux insatisfaits
- Positionner des objectifs là où ça fait mal
- Comparer la situation actuelle avec des structures équivalentes en difficulté
Constituer une équipe
Le changement doit être conduit par une équipe solide, soudée, et convaincue du besoin de changement.
Sur ce point, les choses se passent en général un peu mieux. On rencontre souvent ces équipes sous l’appellation « Centre Agile ». Mais là où les choses ne sont pas toujours idéales, c’est dans la constitution de l’équipe. Elles sont en effet souvent constituées d’experts de l’Agilité, c’est bien, mais pas suffisant. Le rôle de cette équipe va être de porter le changement auprès de toute l’organisation. Il est donc important d’avoir des spécialistes qui vont être capable d’expliquer et d’éviter que tout et n’importe quoi ne soit raconté par les détracteurs, mais il faut aussi des personnes charismatiques et reconnues dans chaque groupe en transformation, il faut des leaders qui vont être capables de fédérer, et il faut enfin des communicants.
Définir une vision en impliquant un maximum de personnes
La vision est un point important, bien que dans le cadre d’une transformation Agile beaucoup la considère comme toute trouvée : « passer à l’Agilité ». Mais attention, l’Agilité c’est large, parfois même trop large. La vision globale doit être découpée pour définir un plan stratégique qui soit en accord avec l’urgence identifiée à l’étape précédente. Il faut identifier ici quelles sont les pratiques que l’on souhaite mettre en avant.
- Quelles méthodes : Scrum, Kanban, …
- Quelles organisations : Feature teams, équipes co-localisées, équipes distribuées, …
- Quels changements doit-on apporter au système de management : redéfinition des rôles, niveau de délégation et d’autonomie …
Les experts de l’Agilité doivent veiller à travailler avec un maximum de personnes pour définir une vision qui soit en accord avec l’urgence définie en amont. Afin de maximiser l’acceptation, les idées initiales doivent être amenées directement par les acteurs du changement. Les experts ne doivent pas imposer, mais simplement compléter les pistes émises.
Dans une transformation à laquelle j’ai participé, les projets pilotes ont mis en évidence des problématiques importantes de dépendances dues à une organisation en équipes techniques. Ces dépendances diluaient la responsabilité des projets et finissaient par poser de réels problèmes de tenue des engagements. Les experts et les managers ont réfléchis au problème pour faire émerger le besoin de changer l’organisation en allant vers une organisation en Feature Teams. Sans l’implication du management, il aurait été très difficile de faire accepter ce changement d’organisation.
Communiquer
Une fois la vision définie, il faut la communiquer. Les vecteurs de communication doivent être variés :
- Articles de blog sur l’Intranet
- Newsletter
- Brown Bag Lunch
- Affichage dans les open space et les lieux de rassemblement
Il ne faut pas non plus négliger des vecteurs de communication plus atypiques :
- Les murs de management visuel. Quand c’est possible, il faut les placer dans des endroits passants et ne pas hésiter à les commenter aux personnes qui jettent un coup d’oeil en passant
- La machine à café est un bon endroit pour des discussions informelles
A ce niveau-là, ce qui est important c’est d’avoir une communication continue. Il ne faut pas se limiter à la vision, on peut communiquer sur tous les sujets en rapport avec la transformation.
Inciter à l’action
Arrivé à ce stade de la transformation, il faut encourager toute action allant dans le sens de la vision. Pour cela, il est important de s’appuyer sur les personnes les plus motivées par le changement. Il faut donc les identifier le plus tôt possible et s’appuyer sur elles pour mener à bien des actions à court terme. C’est comme cela que par vitalité le changement pourra devenir l’affaire de tous.
Dans le cadre d’une transformation Agile, cela peut-être :
- L’organisation de Brown Bag Lunch
- La présentation par un nouveau Product Owner de son nouveau rôle à des pairs
- La transformation d’un environnement de travail pour faciliter le management visuel
- Toute autre action mettant en mouvement la vision
Valoriser les petites victoires
Valorisez, félicitez, communiquez sur tous les éléments positifs de la transformation. Les victoires, même petites, doivent être mises en valeur. Très rapidement, ce point doit devenir votre vecteur essentiel de communication.
Dans mon cas, j’essaie :
- De récupérer des petites phrases de clients satisfaits après une démonstration
- De définir des objectifs à court terme pour pouvoir communiquer sur leurs atteintes
- De passer du temps sur les points positifs d’une rétrospective
Toutes ces petites victoires feront boule de neige, et faciliteront l’acceptation du changement par les plus réticents. Les victoires doivent se trouver à tous les niveaux de la hiérarchie, car une transformation Agile est l’affaire de tous.
Construire sur les premiers résultats
Une fois les premières victoires engrangées, il existe un véritable risque que la motivation retombe. C’est à ce moment-là que les difficultés ne manqueront pas d’apparaître, et que les détracteurs se manifesteront. Il faut réagir vite en expliquant les raisons des difficultés et en adaptant la stratégie de transformation.
Ce travail peut être mené par l’équipe de transformation sous forme de rétrospectives. L’objectif ici est d’isoler les détracteurs et d’adapter la stratégie aux obstacles rencontrés. C’est aussi à ce moment-là qu’il faut commencer à étendre la transformation, tout en n’oubliant pas de continuer à communiquer.
Ancrer les pratiques
Une fois les pratiques Agile mises en place, il faut veiller à ce que celles-ci perdurent dans le temps. Les habitudes sont difficiles à perdre, et à la moindre difficulté le premier réflexe est de revenir dans notre zone de confort. Pour cela l’équipe de transformation doit organiser un passage de relai vers une organisation plus stable dans le temps qui aura pour rôle de veiller au maintien et l’évolution des bonnes pratiques. Pour cela on trouve souvent dans les grands groupes un service « méthodes et qualité » qui peut très bien jouer ce rôle, à condition d’y être correctement préparé.
La mise en place d’une boucle d’amélioration continue sous forme d’une roue PDCA est un bon moyen de maintenir la transformation vivante en la faisant évoluer en fonction des besoins.
Pour aller plus loin
Pour aller plus loin, je vous propose la lecture des livres suivants :
- Alerte sur la banquise – John Kotter et Holger Rathgeber
- Leading change – John Kotter
- Comment changer le monde – Jorgen Appelo